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Interview de Corentin Desplanques – du jeu à l’apprentissage

Pour ce portrait estival, je vous propose un échange avec Corentin Desplanques, autour de la ludopédagogie. Co-responsable du pôle Formation chez Projexion, Corentin collabore également au pôle Architecture d’Entreprise. 

Dans cette interview, nous plongeons dans le monde fabuleux de la ludopédagogie, avec des apprentissages forts sur comment utiliser cette démarche en facilitation ou formation. 

Vous découvrirez dans cette interview plusieurs sujets :

  • Qu’est-ce que la ludopédagogie ?
  • Quelle différence entre ludopédagogie et jeu sérieux ?
  • Comment utiliser le jeu pour lancer une démarche RSE et impliquer ses collaborateurs ?
  • Comment utiliser les jeux en formation ?
  • Comment construire un jeu ?

Rentrons dans le coeur de ton sujet, qu’est-ce que la ludopédagogie ?

La ludopédagogie consiste à apprendre par le jeu. C’est quelque chose que l’on fait assez naturellement quand on est petit mais que l’on oublie au bout d’un moment. Pour des enfants, c’est naturel de jouer et d’apprendre des choses en jouant ; soit pendant l’activité de jeu soit après, par un temps de recul où l’on se rend compte de ce que l’on vient de vivre.

Les études menées en neurosciences montrent qu’en tant qu’êtres humains nous retenons mieux des concepts, messages, connaissances quand ils sont associés à des émotions.

La ludopédagogie permet cette association entre émotions positives et apprentissage.

La ludopédagogie est un cheminement qui suit trois grandes étapes :

1.Dans un premier temps, on introduit l’activité : objectifs, déroulé, rôle du formateur, des apprenants-joueurs 

2. Ensuite, on rentre dans la partie animation. Dans cette étape, on propose aux participants de rentrer dans une posture de joueurs. 

Le formateur a alors un rôle de maître du jeu sérieux, plus ou moins présent. Parfois il reste en posture d’observation, parfois il peut jouer un rôle plus actif (par exemple dans un escape game, le formateur peut donner des indices).

Une des vertus du jeu est l’absence d’impact sur le quotidien. Dans un jeu, on a le droit à l’erreur, on a le droit d’essayer. De plus, le jeu va apporter un feedback très rapide au joueur, et développer sa faculté à s’ajuster et à avancer par lui-même. 

3. Ensuite vient le temps du débrief, ou les participants passent de la posture de joueur à celle d’apprenant. Ici, le formateur passe dans un mode interrogatif pour faire ressortir ce qui s’est passé dans l’activité, comment les personnes ont interagi. Cette étape permet de travailler la transposition par rapport à ce que les personnes connaissent dans le quotidien

Quelle différence entre ludopédagogie et jeu sérieux ?

Le “jeu sérieux” renvoie à plus de choses que l’activité ludopédagogique.

En ludopédagogie, on va surtout retrouver des activités qui permettent de diffuser un message ou de dispenser un entraînement pour travailler un savoir-faire. 

Alors qu’un jeu sérieux peut adresser d’autres objectifs :

  • Collecter de la donnée. Par exemple dans le domaine de la recherche, le jeu Fold It propose aux joueur de manipuler des molécules pour trouver des solutions à une maladie. Cela a permis à des chercheurs qui travaillaient sur le sujet pendant des années de trouver des solutions en une quinzaine de jours. 

Google Images Labeller propose aux internautes d’associer des idées / mots-clés à des images. Cela permet d’affiner le moteur de recherche d’images de Google.

  • Coopérer et co-créer. Dans cette catégorie de jeux sérieux on retrouve beaucoup de jeux coopératifs. Par exemple, Virgine Deram, d’Hemisfair, travaille en ce moment sur un jeu de plateau qui permet d’appliquer en équipe des méthodes variées de créativité. 
  • Participer à la transformation de l’entreprise. Par exemple, chez Projexion, nous avons gamifié le lancement de notre démarche RSE.
  • Faciliter l’introspection, avec des jeux comme l’Antisava

Peux-tu m’expliquer comment vous avez gamifié le lancement de votre démarche RSE ?

J’ai lancé cette démarche RSE chez Projexion en 2016, Projexion avait 5 ans. Pour un certain nombre de consultants, cela faisait sens de commencer cette démarche tôt dans l’existence de Projexion. J’ai cadré le sujet en allant regarder sur le site de réseau alliances pour avoir une grille de lectures de ce qu’on entend par RSE. J’y ai trouvé une grille de 7 domaines d’investigation. 

Lors d’ateliers avec les consultants, nous avons choisi 3 thématiques : l’engagement social et sociétal, la réduction de l’impact environnemental, les conditions de travail. En partant de ces piliers nous avons identifié ce que nous faisions déjà et ce que nous pourrions faire en plus. 

Deux types d’idées sont ressorties :

  • Des projets conséquents, qui demandaient du temps et de l’investissement
  • Des idées très simples et faciles à réaliser : des quick win. 

Le jeu que j’ai lancé avait pour personnage un colibri (logo de Projexion). Sa forêt avait brûlé et le jeu consistait à aider Eco le Colibri à déblayer la forêt suite à l’incendie et reconstruire l’habitat des animaux.

Dans la première partie du jeu, la partie accessible de la forêt était constituée d’une multitude de petits chantiers, ces quick win.

Pour avoir accès à la deuxième partie du jeu, il fallait atteindre 80% des petites missions en deux mois et demie. L’atteinte de cet objectif permettait d’enlever les gros troncs d’arbre qui coupaient l’accès à l’autre partie de la forêt et donc d’accéder à la 2ème zone du jeu où étaient accessibles les projets.

Les habitants de la forêt (les collaborateurs) devaient donc chacun se positionner sur des quickwin. Par exemple : passer du café en capsules à l’achat d’une cafetière collective, acheter des trottinettes pour les déplacements du midi pour chercher un repas plutôt qu’utiliser la voiture… Les collaborateurs devaient faire un budget, sélectionner les options, mettre en oeuvre (sachant qu’une enveloppe financière globale était disponible).

Au bout de ces deux mois et demie nous avons organisé une soirée de restitution où chaque Bip-Winner venait présenter les quickwin qu’il avait mis en place. Le jury a ensuite donné des prix (coup de coeur, vote des habitants de la forêt…) : bouteilles de jus de pomme avec pommes du jardin du fondateur de Projexion etc… 

Nous avons ensuite voté sur les 5 prochains projets et constitué des équipes autour de chaque projet : une reine des abeilles et des abeilles pour chaque projet. A la fin des projets, les équipes ont présenté leurs réalisations et ont pu remporter des pots de miel.

Comment utilises-tu les jeux en formation ? 

Nous avons commencé à s’intéresser à ce sujet il y a 2-3 ans quand nous développions plus de modules de formation. 

Avec nos valeurs de cohésion, partage et plaisir, c’était naturel pour nous de ne pas être dans une formation purement descendante et de faire appel à une pédagogie plus active.

Nous utilisons notamment le jeu pour :

  • faire entrer participant dans un mode actif
  • faire vivre une expérience 
  • permettre aux personnes d’adopter la bonne posture 

Ainsi, nous mixons les formats d’apprentissage en formation : activités ludopédagogiques, serious game, démonstratif, interrogatif, descendant, participation collective. 

Comment construit-on un jeu sérieux ?

On peut arriver à un jeu sérieux de plusieurs façons : 

  • La réutilisation de jeux existants

Par exemple en reprenant les principes du jeu et en créant son propre matériel. Par exemple, le jeu Timeline est constitué de cartes avec énoncés d’événements d’un côté et date de l’événement de l’autre. Le jeu consiste à, en partant des énoncés d’événements, essayer de replacer les cartes dans le bon ordre chronologique. On retourne ensuite la carte pour vérifier la bonne date. On peut facilement reprendre ce principe et le réadapter à la revue de l’historique d’une entreprise, à l’apprentissage de l’histoire, ou même à un mariage ! 

Ou en reprenant un jeu tel quel et en l’utilisant dans un contexte sérieux. Par exemple, nous avons utilisé le jeu Overcooked dans le cadre d’une formation sur l’efficience opérationnelle et optimisation des processus. Dans ce jeu coopératif, chaque personne joue un cuistot et on reçoit des commandes à préparer. 

Ou encore, partir d’un jeu et enlever des éléments de jeu pour arriver à un jeu sérieux. C’est le cas d’Ubisoft, qui a réutilisé Assassins Creed Origins, qui se déroule en Egypte, et enlevé les éléments de combats dans une version Discovery Tour et dédié ce jeu à l’enseignement d’histoire-géographie. Cela permettait aux apprenants de se déplacer dans le décor et de découvrir l’Egypte antique 

  • La gamification. Cela consiste à partir d’un sujet sérieux et rajouter des logiques / mécaniques de jeu.
  • Le serious game design. Dans cette logique, on part d’une page blanche et on pose des objectifs, public cible, modalités, contraintes et on va inventer un serious game de A à Z.

Des références, idées pour continuer à creuser le sujet ? 

Cette année, j’ai suivi un diplôme interuniversitaire “apprendre par le jeu”. Cela m’a permis d’avoir une bonne boite à outils à utiliser sur ces sujets, de me connecter à un écosystème sur la ludopédagogie et de m’enrichir des échanges avec les membres de ma promotion. 

Le Labo du Je(ux) est un bel espace pour expérimenter, discuter et rencontrer d’autres personnes autour de ce sujet. 

Pour ceux qui souhaitent utiliser des jeux sérieux, vous pouvez consulter le mouvement open serious game.

Je conseille également la chaîne de podcast Homo Ludens, et l’interview de Simon Keller sur son utilisation du jeu en coaching. 

Dernière question : tu m’as dit que tu t’impliquais dans le pôle architecture d’entreprise de Projexion. Qu’est-ce ? 

En architecture d’entreprise on part d’une vision, de la stratégie de l’entreprise à plusieurs années pour ensuite dessiner les activités, processus métiers, systèmes d’informations, data, infrastructures techniques qui vont concrétiser l’entreprise de demain. 

Le fait d’imaginer cette structure future permet d’analyser l’écart entre demain et aujourd’hui et d’en déduire les projets qu’il va falloir mener.

Par exemple, prenons une entreprise de grande distribution qui veut lancer une activité de drive. Cette nouvelle activité est un axe stratégique. L’architecture d’entreprise va amener à penser les processus métiers (mise en ligne de produits, préparateurs de commandes…), les nouvelles applications (bipage de cartes, data..) que cette entreprise devra mettre en oeuvre pour concrétiser cet axe stratégique.

Rendez-vous sur LinkedIn pour rentrer en contact avec Corentin, discuter ludopédagogie et pourquoi pas créer des jeux !